Après l’État autoritaire, l’État quasi-providence, l’État charité, l’État inutile, voici venu le temps de l’État moralisateur. Depuis quelques semaines, en effet, les fonctionnaires marocains sont invités à signer et à s’obliger à exécuter un ‘’Pacte de bonne conduite’’. Or, bien que l’idée soit louable en elle-même, cette initiative pose en fait le double problème de sa rationalité ainsi que de sa valeur juridiques et, en conséquence, de sa place dans l’armature générale de la réglementation de la fonction publique.
L’objet du pacte dit de bonne conduite est de sommer le fonctionnaire marocain à faire siens un comportement, une conduite et une application au travail au-delà de tout soupçon. Il est donc évident que tout esprit sensé ne peut qu’acquiescer à la justesse d’une telle préoccupation, surtout que, dans le conscient collectif national, l’Administration marocaine souffre de bien de tares dont une essentielle, la négligence face à l’intérêt général bien compris de tous.
En fait, le ‘’Pacte de bonne conduite’’, dans son libellé comme dans son fond, draine un ensemble de contradictions qui rentrent en conflit avec la matérialité du Statut portant réglementation générale de la Fonction publique, d’une part, et des différents contrats signés par les personnels de l’Administration publique, d’autre part.
Au regard du Statut général de la fonction publique, la lecture, primaire et linéaire, de ce pacte renvoie à l’esprit et à la lettre de la réglementation de la fonction publique. Il est certain, néanmoins, que la rédaction du ‘’Pacte de bonne conduite’’ a été faite dans le jargon dominant aujourd’hui, avec le renvoi aux références de transparence, de culture de l’entreprise, de bonne préséance face à l’usager du service public… Mais toutes ces références sont codifiées dans le statut. Ce qu’il aurait fallu faire – au lieu de venir avec un pacte qui ne peut être élevé au niveau d’un texte de loi – c’est amender de fond en comble le Statut portant réglementation de l’Administration publique, le rénover en fonction du contexte actuel pour en faire un véritable cadre juridique de motivation, d’engagement et de sanction des manquements à ceux-ci. En produisant un pacte qui, de par son identité terminologique et matérielle, ne peut servir que de simple case de bonne intention, l’Etat pèche par infraction matérielle quant aux obligations générales des fonctionnaires face au service public. Tout juriste peu ou prou adroit le sait et, si cela est nécessaire, le juge administratif n’hésiterait pas une seconde pour en annuler et les effets et la raison d’être.
S’agissant des personnels de l’Administration engagés en vertu d’un contrat de droit commun, ils ne sauraient se sentir obligés par ce pacte, en ce sens que le seul cadre juridique énonçant leurs devoirs et leurs droits s’avère être le contrat qu’ils ont signés avec leur administration d’intégration.
Cela dit, il faudra bien se poser la question de l’opportunité de tels textes (pacte, déclaration…) qui, tout en mettant à mal l’esprit des lois existantes, ne font que noyer la logique juridique dans une inflation textuelle préjudiciable à la bonne visibilité de la légalité normative marocaine. Car, il est pour le moins incompréhensible que, face à des lois bien intégrées au corpus normatif et institutionnel, dans ses limites comme dans ses acquis, l’État greffe des textes qui, tout en n’ayant aucune charge juridique rigoureuse, perturbent la rationalité globale du cadre législatif et réglementaire national.
En d’autres termes, le ‘’Pacte de bonne conduite’’ aurait été une bonne et intelligente initiative s’il n’avait pas été vicié par la double obligation de signature et d’engagement à son exécution par le fonctionnaire marocain. Car, dans cette double obligation, il rentre en conflit avec et le Statut général de la Fonction publique et les autres textes juridiques réglementant les relations des salariés avec l’État employeur.
La raison en est simple : dans le cadre de la fonction publique, le statut et le contrat sont des textes juridiques contraignants, le pacte non. De plus, il aberrant, juridiquement parlant, de faire signer aux fonctionnaires de l’État deux textes pour une même finalité… Et l’on ose parler de ‘’Code’’, comme si les terminologies n’ont de sens que par rapport à l’utilisation qui en est faite !
Najib BENSBIA, »La vérité», 6/4/2004.