Le Marocain, un terroriste international ?

Chaque 16 mai, le Maroc commémore dans le silence le triste et sanglant premier anniversaire des attentats, criminels et lâches, qui ont brisé la quiétude de Casablanca et, dans la foulée, la tranquillité de tous les Marocains. Dans le sillage de cette commémoration, tout le pays ne semble pas cerner rigoureusement les vraies motivations de ces hordes qui ont essaimé jusqu’à agir au-delà du territoire national.


Depuis le 11 septembre 2001, la plupart des actes terroristes d’envergure enregistre l’implication de Marocains. De New York à Madrid, la main sale d’islamistes obscurs est là, haineuse et galeuse.

Depuis Madrid, en effet, le Marocain, tout Marocain citoyen et sincère, se sent piégé par/dans sa propre colère, contre soi-même d’abord, contre son Etat ensuite et, enfin, contre le devenir commun de la nation ! N’est-il pas effarant de constater que, de citoyen du monde, tolérant et affable, le Marocain d’aujourd’hui se sente placarder, de bout en bout de l’Univers, en terroriste potentiel … ?


Comprendre pourquoi ?

Les attentas de Casablanca ont eu lieu un vendredi, journée symbole pour tous les Musulmans (les vrais musulmans) du monde. Les attentats de Madrid se sont produit alors que l’ensemble de la Communauté mondiale était réunie à Genève, dans le cadre de la réunion de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU. Et, se tenant debout, solennel et l’air grave face aux dignitaires et hauts responsables de tous les Etats du monde – en ce mardi 16 mars 2004, cinq jours exactement après les attentats qui ont meurtri profondément l’Espagne et secoué l’ensemble de la Communauté internationale – devant l’Assemblée de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU, réunie dans sa soixantième session à Genève, le ministre marocain des droits de l’Homme, Mohamed Auajjar, savait qu’il était scruté par des regards où se mélangeait la compréhension et le rejet, l’accusation et les regrets. De toute sa mémoire blessée, la Communauté mondiale voulait, cependant, se cramponner à la volonté de croire que le Maroc est autre chose que cette image, indigne et lâche, qu’ont donnée de lui les assassins du 16 mai 2003 et du 11 mars 2004.

En effet, face à la délégation marocaine présente à Genève durant la même semaine des attentats de Madrid, le monde voulait entendre la voix du Maroc lui expliquer pourquoi des Marocains, ceux qui sont connus pour être tolérants, revendiquant le dialogue des cultures et la liberté cultuelle, pouvaient-ils devenir des professionnels du crime aveugle et sans répondant ?

A l’évidence, cette question/interpellation taraudera désormais tout Marocain allant à l’étranger. Car, dans sa tête, dans ses bagages, le long de son regard, il sera regardé à travers les infimes particules du danger potentiel, de l’arme ambulante que constitue, désormais, le terrorisme international. En cela, les individus ayant causé mort et terreur à Madrid, après Casablanca la blanche, auront réussi l’impossible : faire pointer du doigt la citoyenneté marocaine partout et en toutes parts.

D’ailleurs, hier encore à New York, l’innommable Ben Abelaziz a commis ce qui était craint depuis le 11 septembre 2001 : le Maroc, lance-t-il opportuniste jusqu’à la moelle, est un pays exportateur de drogue et de terrorisme !?

Alors, posons-nous les vraies questions, celles que nous dictent notre réalité sociale globale et le vécu quotidien des petites gens. D’abord, ce n’est pas un hasard, en effet, que les principaux accusés des attentats de Madrid soient tous originaires de Tanger, la ville synonyme d’enclavement et de déperdition, une ville symbolisant le retard socio-économique de toute une région, le Rif pour bien le nommer.

En cinquante ans d’indépendance environ, l’Etat marocain a réussi la prodigieuse prouesse de produire une société éclatée, une société où le nationalisme et le civisme se sont érodés au fil des gouvernements faits et défaits sans logique politique rationnelle. Le Marocain des années soixante du siècle passé était prêt – et il l’a fait – à sacrifier sa vie, sa famille et tout son présent pour la seule promesse que le Maroc devienne un Etat démocratique. Un Maroc où tous soient considérés comme des citoyens accomplis, des citoyens ayant droit à un habitat salubre, un emploi stable et, surtout, une visibilité quant au devenir de leurs enfants.

Cinquante ans après, le Marocain a perdu le sens de la civilité, du nationalisme créateur de devoirs et d’obligations d’abord, du militantisme volontariste, voire altruiste ! Et, en ces mêmes cinquante ans, une minorité sociale a profité de tout et de tous, qui par le vol des biens publics, qui par l’abus de pouvoir, le reste en alliant concussion et manipulation.

A Casablanca ensuite, les auteurs des actes ignobles du 16 mai 2003 sont le fait d’individus venant des bas fonds des quartiers populaires casablancais. De Tanger à Casablanca, la délinquance doublée à la misère et le chômage, voilà les vrais ingrédients des auteurs directs des actes terroristes contre lesquels s’élèvera tout le Maroc le 16 mai 2004. Cela est la résultante du politique d’Etat qui a semé les principaux matériaux de ce qui arrive aujourd’hui.


Le Marocain révolté

En quarante de bégaiement socio-économique, qu’a-t-on récolté au bout du compte ? Une société politique incapable de faire valoir un projet de société viable et crédible, voire un quelconque projet tout court, une société civile qui se démène dans un magmas de je-m’en-foutisme quasi généralisé et un appareil d’Etat en éternelle dispute avec ses intestins.

Dans les faits, l’Etat national n’a jamais été présent et vigilant là où il le fallait. Ainsi, en termes d’aménagement de territoire, le Maroc est plusieurs Maroc, c’est-à-dire une évolution à multiple vitesses. Le Rif, parce que de lui viennent les derniers deux rappels mortels (tremblement et terroristes madrilènes) a été abandonné au sort que lui a réservé la nature. Pourtant, l’Autorité publique sait – savait déjà – que cette région est terriblement infortunée et fait le lit de deux phénomènes criminels : le trafic de drogue et l’activisme islamiste armé (dixit le Commissaire Colombo !)…

Or, à Casablanca, la mémoire marocaine a cru en l’isolement du crime terroriste. Nous avions tous convenu que le Marocain ne peut se reconnaître dans les criminels du 16 mai 2003. Mais après Madrid, qui d’entre nous ne s’est pas posé la question lancinante suivante : et maintenant ? Car, avouons-le avec réalisme, ce maintenant est porté comme un lourd et humiliant fardeau pour tous les Marocains qui, par obligation professionnelle ou devoir public, sortent à l’étranger. Et en cela, nous sommes tous profondément concernés.

A contre sens de ces ruptures, cependant, la rue continue de parler de changement ou de remaniement gouvernemental, comme si cela pouvait régler les vrais problèmes du Maroc actuel. Or, là, également, il faudra se rendre compte d’un fait têtu : le Maroc peut fonctionner, sincèrement, au rythme où l’on évolue, avec un cabinet quasi administratif, le roi pouvant dresser directives et instructions à l’administration en l’absence d’un quelconque gouvernement. Rares sont, en effet, les ministres qui méritent leur nom. D’ailleurs, la quasi-majorité des départements ministériels sont gérés par une administration permanente qui bénéficie de la continuité et de la stabilité statutaires. Alors, gouvernement ou pas, là n’est pas le vrai défi posé au Maroc d’aujourd’hui.

Le défi, réel, insistant, présent et pressent est de revoir l’ensemble des mécanismes, procédures et modalités de sélection, de nomination et de rendement des appareils d’Etat. Et, en conséquence, faire du devoir le préalable obligatoire et automatique au bénéfice du droit. En accompagnement de ce mouvement, la sanction doit être le corollaire de l’erreur, de l’indifférence et du laisser aller. Tout cela en sachant que sans productivité vérifiable in situ, il ne peut y avoir de rémunération.

De bout en bout de cette chaîne, le Maroc doit arrêter le saignement structurel que constituent primes et salaires défiant la norme et la logique, dans un pays qui n’en finit pas de s’endetter et faire appel à l’assistance internationale.

Najib BENSBIA, Chronique du 11/5/2004

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